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Photo de groupe avec les participantes de l’atelier WOUGNET. Crédit photo : WOUGNET

En Ouganda, les hommes ont longtemps dominé le monde du journalisme, tandis que les voix des femmes étaient souvent marginalisées ou stéréotypées. Mais cette année, alors que le monde entier célébrait la Journée internationale de la femme le 8 mars, un changement radical avait lieu dans le paysage médiatique local. La célébration a marqué un moment décisif, mettant en avant les femmes journalistes qui résistent aux forces pour tenter de les réduire au silence. Les femmes, dont les récits étaient autrefois écartés, se sont levées, la tête haute, pour proposer leurs reportages et changer le récit : c’est ainsi qu’en Ouganda des femmes journalistes ont partagé leurs expériences et raconté comment elles ont brisé les obstacles, fait reculer les stéréotypes et remis en cause les attentes de la société, soulignant les avancées importantes des femmes dans cette profession exigeante.

Ces journalistes étaient au cœur de l’initiative dirigée par Women of Uganda Network (WOUGNET) visant à lutter contre le problème croissant de la désinformation genrée en Ouganda, destinée aux femmes dans la politique et le journalisme. La désinformation genrée, qui se caractérise souvent par de faux récits, des stéréotypes et du harcèlement ciblé, discrédite les femmes et les décourage de participer à la vie publique.

Lancé peu avant la Journée internationale de la femme, le projet de WOUGNET a amené des femmes journalistes à se attaquer de front cette question. Les journalistes étaient invitées à des ateliers ciblés sur les manières de naviguer dans les espaces en ligne en toute sécurité, identifier la désinformation et les fausses informations, et réagir face à des récits nocifs. Ces femmes sont cependant allées plus loin encore : elles ont partagé leurs parcours personnels, encourageant les autres femmes à poursuivre une carrière et offrant leur soutien et leur encouragement pour guider celles qui débutent dans ce domaine.
 

Making submission during roundtable discussion on gendered disinformation. Photo courtesy of WOUGNET.
Apport au cours d’une table ronde sur la désinformation genrée. Crédit photo : WOUGNET.

Réaliser ce projet à l’approche de la Journée internationale des femmes était tout à fait intentionnel. Il s’agissait d’amplifier les voix des femmes souvent mises à l’écart et de leur offrir une plateforme pour se réapproprier leur place dans le discours public. En associant célébration des succès obtenus par les femmes et action concrète contre la désinformation genrée, WOUGNET cherchait à souligner l’importance de la visibilité, mais aussi de la protection des femmes dans le journalisme.

Les voix des femmes sont essentielles

L’un des récits les plus frappants est celui de Linda Chibombo, journaliste à la retraite après avoir passé 24 ans dans la profession. Rédactrice en chef à Sanyu FM, elle a dû faire face à de nombreux moments de doutes, se demandant si elle avait vraiment sa place à son poste de direction. Pourtant, elle a été récompensée pour son dévouement et sa persévérance quand NTV lui a proposé un poste plus important. L’histoire de Linda incarne l’essence même de ce qui est en train de changer pour les femmes journalistes en Ouganda : elles ne sont plus systématiquement confinées dans des rôles secondaires. Les femmes sont désormais présentes dans les rédactions, dirigent les services d’informations, travaillent comme productrices, cadreuses et même à des postes de direction. Leur présence est vitale dans le secteur et pour la société en général, pour les nouvelles perspectives qu’elles apportent et une évolution très attendue dans les représentations.

Les répercussions sur la communauté ont été profondes. Ces femmes journalistes ne se limitent pas à informer sur l’actualité, elles contribuent également à un changement sociétal plus général. En assumant des rôles traditionnellement réservés aux hommes, elles remettent en question les normes de genre dépassées et encouragent d’autres femmes et filles à suivre leurs traces. Hannah Arinite est passionnée lorsqu’il s’agit d’inspirer les jeunes filles à débuter dans la profession, et elle souligne l’importance des perspectives des femmes dans le journalisme. « Il faudrait pouvoir raconter encore bien plus de perspectives, de points de vue et d’expériences de femmes, » ambitionne-t-elle. C’est essentiel pour le développement personnel et le progrès social, car les femmes journalistes jouent un rôle de modèles, de mentors pour la nouvelle génération.

Il ne s’agit pas uniquement de changements personnels ; tout cela a des répercussions sur la communauté tout entière. Les femmes journalistes attirent l’attention sur des sujets qui intéressent de nombreuses femmes, que ce soit l’égalité de genre, la santé ou l’éducation. Tout en continuant à exceller dans un domaine dominé par les hommes, elles font évoluer les discours sur les femmes dans les postes à responsabilité ; elles démontrent que les femmes peuvent occuper des postes de pouvoir et d’influence et être des moteurs du changement social. Cette transformation dans le milieu du journalisme est un modèle réplicable partout où des organisations sont capables de s’adapter et d’encourager un environnement dans lequel les femmes ne font pas que survivre, elles réussissent.

WOUGNET Executive Director Sandra Aceng is leading the discussion on gendered disinformation. Photo courtesy of WOUGNET.
Sandra Aceng, la directrice exécutive de WOUGNET, anime un échange sur la désinformation genrée. Crédit photo : WOUGNET.

Ce travail contribue à un monde meilleur ; il prouve que les voix des femmes sont essentielles pour donner forme aux récits qui définissent notre monde patriarcal. Il souligne l’importance de mettre à bas les obstacles, d’offrir l’égalité des chances et de montrer que tout le monde peut, avec travail et détermination, dépasser les stéréotypes et apporter sa pierre à la construction d’une société meilleure et plus inclusive.

Désinformation genrée

Malgré leur impact considérable, les femmes journalistes d’Ouganda sont fréquemment victimes de harcèlement en ligne coordonné, principalement lorsqu’elles couvrent des sujets politiquement sensibles, dans le but manifeste de les réduire au silence et de les décrédibiliser. Lorsqu’elles assument ce type de postes, leur rôle est essentiel dans la lutte contre la désinformation liée au genre. Cela est d’autant plus vrai en Ouganda, où la montée des abus et de la désinformation en ligne ciblant les femmes qui occupent des postes à responsabilité menace les processus démocratiques et l’égalité de genre à l’approche des élections générales et présidentielles de 2026.

À WOUGNET, notre objectif commun consiste à protéger et renforcer les capacités des femmes publiques face aux abus en ligne. En effet, l’abus en ligne et la désinformation genrée servent à réduire au silence les femmes journalistes et politiciennes en limitant leurs rôles professionnels et leur participation aux processus démocratiques. Les femmes journalistes, comme les politiciennes, font régulièrement l’objet de désinformation genrée, ce qui menace leur sécurité, leur liberté d’expression et leur capacité à participer à l’égal des hommes dans le discours public.

Dans le cadre du projet WOUGNET, un atelier de renforcement de capacités de deux jours les 6 et 7 mars 2025 a permis aux participantes d’apprendre à vérifier l’information avant de la partager, et de contribuer ainsi à stopper la propagation de faux récits. L’atelier proposait des tables rondes au cours desquelles les participantes ont pu réfléchir aux distinctions entre désinformation et fausse information. Elles ont analysé comment les femmes journalistes et les politiciennes sont touchées différemment par la désinformation genrée, le rôle des technologies émergentes comme l’IA et les deepfakes pour faciliter la désinformation genrée, et comment celle-ci varie selon qu’il s’agit d’une période d’élections ou non. La séance portait également sur les possibilités d’application en Ouganda de stratégies efficaces utilisées dans d’autres pays pour lutter contre la désinformation de genre, ainsi que sur le rôle des médias traditionnels dans la lutte contre ce problème.

L’atelier de renforcement des capacités a permis à WOUGNET d’établir des connexions entre 25 femmes dirigeantes et de développer leur capacité collective à collaborer et à lutter contre la désinformation. Les participantes ont également acquis de précieuses compétences en habileté numérique et en sécurité en ligne, ce qui a renforcé leur capacité à naviguer à travers les complexités du monde actuel de l’information. Elles ont particulièrement valorisé les nouvelles connaissances acquises au cours de l’atelier, par exemple comment quelqu’un peut créer une fausse adresse de courriel, pirater les comptes d’autres personnes et tenter un hameçonnage informatique. Un guide pratique a également été distribué pour proposer des stratégies de sécurité numérique, de droits légaux, et d’évaluation critique du contenu en ligne. Enfin, les personnes présentes ont été amenées à approfondir leur compréhension de la désinformation genrée, encourageant ainsi le plaidoyer en faveur de l’égalité de genre dans le numérique.

Participants during group discussions about creating a phishing email. Photo courtesy of WOUGNET.
Des participantes au cours de discussions de groupe sur la création d’un courriel hameçon. Crédit photo : WOUGNET.

Cela nous apporte une immense fierté d’avoir ainsi créé cet environnement sûr et inclusif pour permettre aux femmes de parler ouvertement de leurs expériences. De nombreuses participantes ont apprécié la formation et les ressources, et certaines ont déjà commencé à appliquer dans leur travail les compétences acquises. Suite à cet atelier, aujourd’hui davantage de femmes politiciennes et journalistes discutent activement de la désinformation genrée et prennent des mesures proactives pour la combattre dans leurs espaces professionnels et communautaires.

Cette initiative a déjà des retombées. De nombreuses participantes ont commencé à mettre en application les compétences qu’elles ont acquises, et de plus en plus de femmes discutent de la question de la désinformation genrée dans leurs espaces professionnels et communautaires, et cherchent des solutions. À l’approche des élections générales de 2026 en Ouganda, les femmes journalistes n’ont jamais eu un rôle aussi fondamental pour la protection des processus démocratiques et la promotion de l’égalité de genre.

Ce projet a également jeté des bases solides pour la poursuite du plaidoyer et des interventions contre la désinformation genrée en Ouganda. Les connaissances acquises influeront les futurs projets à venir aussi bien sur leur échelle, les formations, la recherche, que sur les efforts d’engagement politique, dans le but de veiller à ce que davantage de femmes journalistes puissent naviguer efficacement et en toute sécurité dans les espaces numériques.

Sandra Aceng est la directrice exécutive du réseau Women of Uganda Network (WOUGNET).