
Lors de la clôture de l’École de réseaux communautaires d’Afrique du Sud (School of Community Networks South Africa – SCN-SA) en février 2023, il a été constaté que 80,9 % des étudiants étaient activement engagés dans leurs réseaux communautaires, soit une augmentation significative par rapport à seulement 23,8 % d’engagement avant le début du programme. Cherchant à aller au-delà de la seule célébration de cet excellent résultat immédiat, Zenzeleni Networks NPC – l’organisation qui gère ce programme – a décidé de revenir sur les impacts qui perduraient à la fin de 2024 dans ces communautés, une première dans l’examen des parcours suivis par les communautés après la conclusion d’un programme de formation.
L’initiative collective des Écoles nationales de réseaux communautaires avait pour mission de renforcer à la fois les capacités et les mouvements, à travers la création, le développement et la consolidation des réseaux communautaires dans cinq pays : l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Indonésie, le Kenya et le Nigeria. Plus de 35 communautés y ont participé entre décembre 2021 et janvier.
Avec le soutien d’une subvention secondaire de l’initiative Local Networks dirigée par APC et Rhizomatica, Zenzeleni Networks NPC a mené l’an dernier un audit pour six réseaux communautaires en Afrique du Sud, axé sur leur état opérationnel actuel, leur efficacité et leur durabilité sur le long-terme. L’étude visait également à mesurer l’impact du programme de formation de l’École et identifier les opportunités et les défis auxquels ces réseaux sont confrontés pour parvenir à la durabilité. Les résultats donnent un excellent aperçu des initiatives communautaires dans toute l’Afrique du Sud et la région au sens large.
Pour présenter ces apprentissages, nous avons interrogé les trois dirigeants du projet, Nicholas Eppel, Yumna Panday et Neo Magoro, sur les manières dont les leçons tirées des actions passées peuvent éclairer l’avenir. Nous présentons dans la chronique de ce mois-ci certaines de leurs réflexions, ainsi que des données issues de l’audit, qui soulignent à quel point semer le changement et récolter les savoirs sont deux parties du même cycle de maturation.
L’École des réseaux communautaires d’Afrique du Sud
Dans le contexte sud-africain de fortes inégalités, les réseaux communautaires peuvent s’avérer une opportunité pour permettre aux communautés à la fois de résoudre les questions d’accès et de coûts, et d’ouvrir des voies vers un développement socioéconomique.
En Afrique du Sud, Zenzeleni Networks NPC a été sélectionné comme partenaire local chargé du fonctionnement de l’École dans le pays, et parmi les organisations participantes, sept communautés différentes étaient représentées : Zenzeleni Networks et Amadiba Community Networks (toutes les deux de la province du Cap-Oriental), Mamaila Community Networks (Limpopo), Seoding Community Networks (Cap-Nord), SOWUG (Gauteng), ainsi que VNET et Black Equations (toutes les deux du Cap-Occidental).
Elles étaient issues de communautés rurales, de townships ou de zones périurbaines du pays dans lesquelles le manque de connectivité va de pair avec d’autres difficultés sur le plan social. Au cours de l’audit, à la question portant sur le principal apport des réseaux communautaires en Afrique du Sud, presque toutes les communautés étaient d’accord sur le fait que ceux-ci permettaient de combler les vides laissés par les grands fournisseurs de service internet en offrant une connectivité fiable à un coût abordable aux populations rurales, informelles ou marginalisées. Même si les résultats de l’enquête et de l’atelier indiquent que c’est là le but poursuivi par tous les réseaux communautaires, la réalité de la fourniture de services internet dans ces contextes comporte une telle complexité que cette aspiration n’a pas encore pu être totalement atteinte.
« Les réseaux communautaires ont le potientiel d’être les principaux réseaux dans les zones mal desservies » remarque Yumna Panday de Zenzeleni, qui souligne également l’importance de renforcer notre compréhension collective des obstacles et du type de soutien nécessaire pour les surmonter.
En fait, l’audit révèle un paysage complexe de réseaux communautaires dans le pays. Leurs efforts se heurtent à de nombreux défis variant de la question des ressources limitées au manque d’expertise technique, en passant par les questions de conformité légale et l’instabilité financière. Malgré tout, les conclusions mettent également en évidence leur résilience et leur potentiel y compris pour répondre aux différents défis.
Célébrer les résultats obtenus
Six des sept communautés qui ont participé à l’École des réseaux communautaires d’Afrique du Sud ont répondu à une enquête et ont pu être présentes pour l’atelier présentiel de Cap Town en septembre 2024 dans le cadre de l’audit réalisé par Zenzeleni.
« Cette [activité] inhabituelle en Afrique du Sud a été un exercice très utile pour dire, ok, adoptons une même perspective pour examiner leur travail. Commençons à leur poser des questions similaires et voyons comment ils s’inscrivent dans ce type de modèle de maturité ou d’étapes de maturation » explique Nicholas Eppel. « Je pense que cela permet de déplacer la vision du réseau communautaire considéré uniquement comme un bien social vers le besoin de les voir également comme une sorte d’entreprise sociale durable » ajoute-t-il.
Lorsqu’on leur demande les motifs de célébration, Nicholas Eppel, Yumna Panday et Neo Magoro insistent sur l’importance du programme de formation pour encourager le renforcement du mouvement, le développement de compétences personnelles et le soutien entre pairs.
« On a de petites victoires dans plusieurs réseaux communautaires. Ainsi, Zenzeleni se développe peu à peu, et en terme de maîtrise du numérique, nous diversifions actuellement nos formations » explique Panday. Elle se réjouit également des collaborations entre la communauté Mankosi, qui accueille Zenzeleni, et la communauté Mamaila.
« L’une des choses que nous pouvons célébrer est la création d’organisations d’intérêt public, et notamment des six réseaux communautaires dont nous avons parlé » ajoute Magoro, se référant à un accord collectif conclu entre eux pour s’enregistrer ensemble en tant qu’ « organisation d’intérêt public », s’affirmant ainsi en tant qu’instance permettant aux réseaux communautaires de fonctionner comme une alliance. Ils sont ainsi à même de négocier de meilleurs tarifs de liaison terrestre à large bande, acheter des appareils par achat groupé et montrer une voix unie lors de consultations sur les politiques publiques.
Reconnaitre les défis
S’il est important de se réjouir des progrès réalisés, il convient également de garder à l’esprit les nombreux défis à relever. L’audit identifie plusieurs obstacles, tels que le manque de fiabilité et les prix élevés de la connectivité des liaisons terrestres, les questions liées à la fourniture d’électricité, l’espace limité pour le fonctionnement des réseaux communautaire, les difficultés techniques et même des menaces externes envers la continuité de leurs services techniques.
Les communautés participantes ont également mentionné les obstacles structurels que posent « le manque d’appui de la part de certaines grandes entreprises » et l’absence d’un « environnement politique favorable ». Magoro, qui travaille à la fois avec les réseaux communautaires de Zenzeleni et de Mamaila, affirme que la plupart des réseaux communautaires d’Afrique du Sud ne reçoivent pas le soutien promis par le gouvernement, et que les décideurs politiques comprennent encore mal ce que sont exactement les réseaux communautaires.
Le paysage du financement est une réelle source de préoccupation pour leur avenir. L’audit souligne les difficultés pour assurer la durabilité financière de ces réseaux, aggravées par une combinaison de subventions limitées et du faible statut socioéconomique des communautés.
« Nous devons commencer à réfléchir si nous pouvons réellement nous permettre de continuer à offrir des services gratuits, » commente Magoro en défendant l’idée que les réseaux communautaires devraient être considérés comme des entreprises sociales ou fournissant des services. « Il nous faut par exemple trouver des mécanismes pour maintenir nos labos ouverts. Et pour pouvoir offrir les services que nous avons, nous vendons des ordinateurs portables, » indique-t-elle pour donner un exemple de son expérience à Mamaila. Leur connaissance du contexte local les aide à s’assurer que les prix restent abordables.
L’engagement des membres au sein du réseau peut également être entravé par des défis sociaux complexes tels que le chômage, qui atteint plus de 32% en Afrique du Sud et davantage dans les communautés marginalisées, ou encore le manque d’opportunités à niveau local. Eppel rappelle l’importance d’avoir des perspectives réalistes lors de la création de mouvements.
En résumé, les trois auteurs du rapport d’audit soulignent combien il est important de comprendre que créer des mouvements prend du temps et passe par des hauts et des bas – et que les réseaux communautaires ne font pas figure d’exception. À cet égard, cette alternative de connectivité communautaire, si elle est mieux placée pour fournir un service aux communautés mal desservies, n’a pas vocation à être prise pour une solution magique à des problèmes complexes. Elle exige en effet un certain engagement de la part de la communauté, qui doit y consacrer du temps et de l’effort pour s’entraider, et la présence d’un réseau de soutien d’action collective. Elle doit également bénéficier d’actions de soutien de la part des personnes qui détiennent le pouvoir décisionnaire.
Perspectives d’avenir
Afin d’améliorer le succès sur le long terme et la durabilité des réseaux communautaires en Afrique du Sud, Zenzeleni Networks NPC présente des recommandations basées sur l’évidence recueillie lors de l’audit. On y trouve notamment des informations sur d’autres programmes de tutorat et davantage de formations. Il y est également suggéré de mettre en place dans le pays un organisme de soutien ou un incubateur qui permettent d’orienter les réseaux émergents et de leur proposer des ressources. De plus, il serait intéressant d’élaborer une trousse à outils sur la durabilité financière et de constituer un fonds destiné aux réseaux communautaires afin de les aider à atteindre une stabilité financière. Ces contributions ont déjà été incluses dans un processus de planification plus large en 2024 et s’inscriront parmi les stratégies de plaidoyer élaborées par les organisations de la société civile pour les trois prochaines années.
« Il me semble essentiel que les réseaux communautaires en Afrique commencent à penser leur vision d’un stade de la maturité. Nous devons également imaginer la forme à donner aux structures de soutien – l’écosystème – pour mieux guider les réseaux communautaires vers un processus de maturation et de professionnalisation » observe Eppel.
La réflexion approfondie menée par Zenzeleni montre qu’avec le soutien adéquat, ils peuvent prospérer et devenir durables dans différents aspects, que ce soit financier, technique, ou à travers l’engagement personnel ou communautaire. Ce faisant, ils peuvent représenter une lueur d’espoir pour les communautés mal desservies.
Cet article est tiré des informations fournies par Zenzeleni dans le cadre du projet « Une connectivité pertinente, axée sur la communauté (2024-2027) adaptées au format de la chronique « Semer le changement ». Cette chronique présente les expériences de membres et partenaires d’APC qui ont bénéficié de financement proposé dans le cadre du programme de subventions et de subventions secondaires pour des projets et initiatives d’APC.
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