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Aperçu de la session d’ouverture du FIFAfrica en 2025.

La tenue du Forum sur la liberté de l’internet en Afrique (FIFAfrica) à Windhoek en Namibie au mois de septembre 2025 a rassemblé des défenseuses et défenseurs des droits numériques, des spécialistes des technologies, des journalistes et des penseuses et penseurs des politiques de tout le continent africain autour de l’importance de la protection des droits numériques. Organisé par Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA), membre de longue date d’APC en Ouganda, le Forum FIFAfrica est devenu un espace essentiel à la promotion de la liberté de l’internet dans la région. Il permet aux communautés de créer des liens au-delà des frontières et de relever des défis communs en matière accès, de gouvernance et de droits humains en ligne.

De nombreux membres d’APC de la région considèrent le Forum FIFAfrica comme une occasion de nourrir des alliances qui renforcent les luttes locales pour la justice numérique. Profitant du rassemblement de la session de septembre, nous avons demandé à nos membres ce qui leur inspire de l’espoir, les changements espérés et comment nous pouvons agir ensemble en ce sens.

Trois priorités interconnectées ont émergé des réponses recueillies lors de la réunion régionale des membres d’APC, en amont du Forum à Windhoek : les langues, les préjudices en ligne et l’infrastructure. Ces questions sont toutes centrées autour de la croyance que les droits numériques sont indissociables de la justice sociale, et que les solutions doivent être pensées et créées par les personnes les plus affectées.

Les conversations débutées pendant la réunion régionale des membres se sont poursuivies au FIFAfrica25, lors des débats sur la violence numérique, des discussions sur l’éthique de l’IA et des ateliers sur la connectivité centrée sur la communauté. Tous ces échanges ont permis aux défenseuses et défenseurs des droits numériques en Afrique de rappeler aux personnes participant au Forum que les connexions significatives s’étendent au-delà des câbles et des bandes passantes, et sont ancrées dans l’espoir.

Vidéo : Regarder la session du FIFAfrica25 intitulée « Defending Human Rights Amidst Increasing Gender Disinformation Cases in Africa » (Défendre les droits humains dans le cadre de la hausse des cas de désinformation sur le genre en Afrique), présentée par APC et les membres PROTEGE QV, WOUGNET et Zaina Foundation. Toutes les sessions sont accessibles ici.

Des réseaux ruraux à une infrastructure féministe

Un thème central a émergé de l’ensemble des entretiens menés auprès de membres d’APC d’Ouganda, du Kenya, du Nigéria, de Tanzanie, du Cameroun et au-delà : l’espoir ancré dans l’action. La source de cet espoir émanait du constat que les communautés construisent leurs propres réseaux, que les femmes réclament leur place dans l’espace numérique et que les gouvernements changent de position et reconnaissent que les droits numériques sont des droits humains.

Pour de nombreux membres d’APC, l’optimisme tient dans l’infrastructure mise en place par les communautés. En Ouganda, Sandra Aceng de Women of Uganda Network (WOUGNET) a mentionné le pouvoir de transformation qui émane du déploiement d’un réseau communautaire mené par des femmes. « Nous avons certes travaillé sur l’accès et l’utilisation des TIC par les femmes et les filles, mais ce qui m’a réellement donné espoir a été de pouvoir déployer une connectivité à large bande spécifiquement pour la communauté, et que cela ait été mené par la communauté elle-même, et soutenu par des femmes », a-t-elle précisé. « Dès lors que les gens sont en ligne, les communautés sont en mesure de faire beaucoup de choses. »

Par le biais de l’initiative de WOUGNET, des femmes sur les marchés, dans les écoles et dans les centres de santé accèdent, pour la première fois, à un internet abordable. « Quand je parle de connectivité significative, pour une femme qui vend sur les marchés, cela peut être aussi simple que de pouvoir se détendre en regardant des vidéos sur TikTok après une longue journée », explique Aceng. « Ça aussi, c’est significatif. »

Okoro Onyekachi Emmanuel de la Media Awareness and Justice Initiative (MAJI) au Nigéria a également eu ce qu’il appelle « une agréable surprise », en parlant du désir d’inclusion numérique de plus en plus présent chez des communautés précédemment exclues de la connectivité. « Des gens nous appellent pour savoir quand est-ce que nous apporterons ce type d’infrastructure innovante dans leur communauté », ajoute-t-il. On voit que les gens ont envie de s’y mettre. À mesure que nous élargissons les réseaux communautaires, le niveau d’acceptabilité montre que les gens prennent conscience de la valeur que leur apporte l’appropriation de leur avenir numérique. »

Dans le Delta du Niger, MAJO a déjà déployé trois réseaux communautaires, avec le soutien d’APC, dont un dans une université rurale qui dessert des centaines d’étudiantes, étudiants, résidentes et résidents qui peuvent maintenant compter sur des connexions locales appartenant aux communautés.

Au Kenya, par le biais des réseaux communautaires, Arid Lands Information Network (ALIN) permet à des utilisatrices et utilisateurs en milieu rural d’avoir accès à des informations agricoles et climatiques vitales. « APC a investi dans la recherche sur la viabilité des réseaux communautaires », remarque James Nguo. « Il y a désormais 200 personnes connectées dans les régions reculées. »

Les droits numériques en tant que base de l’égalité

Pour d’autres, l’espoir naît d’une prise de conscience chez les jeunes, les femmes et les responsables des décisions, ancrée dans la signification de ce que sont les droits numériques dans la pratique. Zaituni Njovu de la Zaina Foundation en Tanzanie a vu cette transformation de ses propres yeux. « C’est la prise de conscience croissante chez différents groupes - les jeunes, les femmes, les défenseuses et défenseurs des droits humains et les journalistes - de l’impact des fermetures d’internet qui me donne de l’espoir », remarque-t-elle. « Les communautés comprennent désormais que les fermetures d’internet réduisent la liberté d’expression et bloquent l’innovation. » 

Son souhait pour l’avenir numérique en Afrique est clair : « Je veux voir notre région se doter de bonnes politiques sur l’accès à l’information et un internet gratuit et libre en tous temps, et surtout pendant les élections. » 

Il est important de préciser que cet entretien a eu lieu en amont de l’élection présidentielle du 29 octobre en Tanzanie, qui a donné lieu à une fermeture totale d’internet, des faits de violence et des pertes de vie parmi les manifestantes et manifestants, au cours de la dernière vague de violence à l’échelle du pays.

Ce désir d’ouverture résonne dans tout le réseau d’APC. Au Nigéria, Y.Z. Ya’u du Centre for Information Technology and Development (CITAD) a parlé de combler les écarts entre la société civile, les responsables de la régulation et les agences de sécurité. Il a pu trouver un nouveau terrain d’entente grâce aux dialogues soutenus par APC. « D’habitude, l’atmosphère dans une pièce avec la police est plutôt à l’affrontement », a-t-il déclaré. « Mais cette fois-ci, nous parlions la même langue, exprimions les mêmes inquiétudes. Cela me donne espoir que les choses peuvent changer. »

Ya’u croit que le plaidoyer collectif aux niveaux régional et infrarégional, dans des espaces tels que celui du FIFAfrica, peuvent décupler ces transformations. « Si nous parvenons à ce que des institutions telles que l’Union africaine ou la CEDEAO prennent position, il sera plus aisé de réclamer la mise en œuvre dans nos pays. »

Langue, culture et le droit à se faire entendre

L’un des thèmes les plus récurrents à la réunion des membres d’APC en Afrique cette année, et l’un des thèmes du FIFAfrica 25, était la justice linguistique. « Nous ne faisons pas suffisamment attention à notre utilisation des langues en ligne », remarque Aceng.

L’exclusion numérique commence souvent par l’exclusion linguistique. Lorsque les contenus, outils et politiques en ligne ne sont disponibles qu’en anglais, français ou une autre langue dominante, des communautés entières sont laissées pour compte. Aceng et d’autres réclament que la localisation et la traduction soient centrales dans le plaidoyer en matière de droits numériques. « Nous pouvons débuter par une ou deux langues, mais cela doit être une priorité. Nous devons traduire et adapter les supports aux réalités locales, et les rendre accessibles. L’accès à l’internet est un droit humain, qui inclut notamment le droit de nous exprimer dans nos propres langues », ajoute Aceng.

Avis Momeni de PROTEGE QV au Cameroun a repris cet appel, faisant le lien avec la diversité linguistique, la démocratie et la gouvernance. « Il y a un problème de langues en Afrique », a-t-il déclaré. « Nous avons besoin d’algorithmes pour nos propres langues, nos propres cultures. Pourquoi devrions-nous toujours utiliser le français ou l’anglais ? Nous devrions avoir nos propres espaces. »

Pour Momeni, les langues locales sont reliées à la participation et la redevabilité. « Les outils numériques peuvent aider les jeunes à trouver du travail et à demeurer dans leur communauté. Ils peuvent également servir à mieux contrôler les élections et la gouvernance », ajoute-t-il.

Cette attention portée à la langue est à mettre en lien avec un combat plus profond : celui de veiller à ce que les connaissances, la mémoire et l’identité africaines soient visibles et protégées en ligne. Aceng prévient qu’alors que nous réclamons le « droit à l’oubli », les activistes doivent protéger le droit au souvenir, et ce afin de protéger les archives, l’histoire et les mémoires féministes contre l’effacement ou une mauvaise utilisation.

Genre, inclusion et le pouvoir de façonner les récits narratifs

Les membres d’APC de tout le continent considèrent que la justice de genre est centrale aux droits numériques. Josephine Karani de l’International Association of Women in Radio and Television - Kenya (IAWRT-K) expliquait combien la participation au réseau avait aidé son organisation à étudier et défier les inégalités de genre dans les technologies médiatiques. « Nos études nous ont permis de conclure que les femmes sont toujours désavantagées dans les salles de rédaction », a-t-elle déclaré. « Les responsables continuent de penser que le travail technique, comme le son ou l’image, est un travail d’hommes. Mais il est question de connaissances, pas de genre. Notre recherche, soutenue par APC, a contribué à réfuter cette croyance. »

Joséphine souhaite que l’avenir numérique de l’Afrique inclue les femmes, qui continueront à acquérir les compétences et la confiance nécessaires pour être des meneuses dans le domaine des nouvelles technologies, particulièrement à une époque où l’intelligence artificielle (IA) modèle la communication. « L’IA est arrivée avant que nous ne soyons prêtes et prêts », explique-t-elle. « Nous devons prendre de l’avance sur la technologie, la comprendre et l’utiliser à bonne escient. »

Elle a également souligné la manière dont les réseaux comme APC créent des ponts entre les générations d’activistes et de journalistes. « APC nous a donné la plateforme nécessaire pour promouvoir nos connaissances et devenir des meneuses en droits numériques », avance-t-elle. « Nous avons bon espoir que les femmes pourront maintenant être sur un même pied d’égalité. »

Plaidoyer collectif et force des réseaux

Au Kenya, James Nguo d’ALIN considère la réforme des politiques comme une source supplémentaire de progrès. « C’est le fait que les réglementations relatives à la protection des données se généralisent en Afrique qui me donne espoir », dit-il. « Elles contribuent à protéger le genre de travail que nous faisons. »

Dans l’ensemble des conversations, les membres ont décrit APC comme une force motrice, un réseau qui écoute, adapte et autonomise.

Nguo pense que c’est parce qu’APC met l’accent sur les pays du Grand Sud qu’elle est unique. « APC met en lien l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine, un mélange qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Cet échange d’expériences nous renforce toutes et tous. »

D’autres ont souligné le rôle de bâtisseuse de collaborations d’APC entre les langues, les mouvements et les régions. « APC peut mobiliser tous ces réseaux en partageant les bonnes pratiques de différentes régions et en nous aidant à améliorer nos propres circonstances », précise Momeni.

Njovu a ajouté qu’APC étant mondiale par nature, cela lui permet de « soutenir les coalitions locales et les mouvements de femmes avec des ressources, du renforcement de capacités et des connexions. »

Emmanuel a appelé de ses vœux la poursuite de ce soutien, non seulement par le biais de financements, mais également par des échanges de compétences et d’infrastructure. « Tout n’a pas besoin de financement », explique-t-il. « Il est parfois question de fournir des équipements ou d’inviter des personnes qui peuvent partager leur expertise. »

Au Forum FIFAfrica25, ces réflexions ont mis en exergue ce qui est en jeu, et ce qui est possible. Au niveau du continent africain, les membres d’APC bâtissent des réseaux qui sont non seulement numériques, mais profondément humains, ancrés dans le soin, la collaboration et la lutte commune. Comme le disait Momeni, « [c]e n’est pas facile, mais si nous partageons nos connaissances, prenons de bonnes pratiques de chaque endroit et expérimentons dans nos propres espaces, alors nous grandirons. Voilà l’espoir que nous avons à nouveau. »

Ces entretiens ont été menés par Peace Oliver Amuge et Vassilis Chryssos en septembre 2025. L’article a été rédigé par Maja Romano.

Les enregistrements vidéo des différentes sessions (en anglais) du Forum FIFAfrica25 sont disponibles ici.